Salve Regina par Jean-Paul Gavard-Perret
Dans sa série « Apocryphes » André Mertz propose des « visions non orthodoxes de passages bibliques ( parfois mythologiques ) ». Et ce dans le but de réinstaler la femme en une place qui lui a été refusée dans les Ecritures.
Ici cohabitent les saintes, les pucelles, les vierges et des anges. Et bien sûr Marie mais aussi Jeanne d’Arc, et autres vestales, pécheresses voire même des filles de joie – dont bien sûr Marie-Madeleine.
Le tout dans une poétique des lignes et des formes. Et des couleurs aussi. Mertz les fait claquer en sachant que même l’aspiration à l’abstraction métaphysique peut faire de beaux craquements, de belles consonances par rapport à la tradition et aux modalités habituelles de la représentation.
Le photographe remet en question la construction des images. Il y a donc dans son œuvre des mouvements dialectiques dont le « graphisme » – parfois trouble parfois net – crée une atmosphère baroque.
La culture populaire et l’expérimentation s’y croisent. Elles donnent lieu à des hybridations pour le moins étonnantes. Dans ce tangage du monde, André Mertz reste capable de produire une unité et une dissémination.
Se croisent et s’entrecroisent des harmonies et des dysharmonies rythmées par différents éléments visuels. Tout dans son œuvre crée des navettes entre les frontières morales afin que les idées comme les images toutes faites claquent.
Dans la déchirure du réel tel qu’il est raconté s’ombrent des silhouettes qui portent en elles la puissance du cri que le silence des Ecritures a gelé.
La clarté en deçà et l’obscur au-delà d’une frontière apprise ne cessent de bouger. Et chaque femme dans sa complexité telle qu’elle est réimagée semble poser une question au voyeur : « N’es-tu entre nous que là-bas, de toi ne serais-je qu’ici même ? »
Les mots de l’Ecriture ne font plus une Bible. Et le photographe lui répond non par des mots mais – sacrilège suprême ? – par des images. Les femmes damnées elles-mêmes courbent leurs sortilèges et les vieilles chimères griffent le miroir des temps.
De telles images visent l’Oubliée Involontaire : elles la désignent, l’articulent sans pour cela l’offrir au savoir mais plutôt à l’émotion. Et l’oeuvre est un démenti à tout ce qui nous trompe et fait que nous ne savons même plus si nous sommes vivants.
Les photographies de l’artiste sont le contraire d’images mortes. Nous passons du passé au présent. Mais pas comme il nous fut « présenté » jusque là. Ce sont des actes de renaissance même si avec de telles « mariées » il y a moins des unions que des absences.
Les femmes ne répondent plus aux « canons » vénérés de la vérité des Evangiles. Sous le voile de la nudité et quelques pans de gaze, un visage s’échappe.
Il n’y a pas plus (ni moins) de rêve, de fantasme, d’ imaginaire que dans les vieilles images que celles-ci remplacent. Mais chaque femme est plus trouble, troublante, troublée. D’où sa présence sensuelle et hallucinatoire.
Pas de tension pour autant. Juste des rehauts qui entraînent à nouveau la pensée dans l’inconnu(e) entre le mystère et l’évidence.



