LES HEROTIQUES : MANUEL DE FELIXITÉ D’ANDRÉ MERTZ

« Pour comprendre la femme il ne faut pas se l’annexer mais deviner son hôte »

 (Fred Deux)

Peindre, photographier les corps jaillissant de la femme en tous ses états  pour faire durer le désir c’est ce qu’André Mertz réalise. Il fait durer et fixe ce qui sans cela n’aurait d’existence immédiate. Ses héroïnes érotiques ne cessent de tendre les pièges fomentés par le créateur. Il les saisit souvent dans l’élan ou le secret. A une langue du corps  répond celle de l’artiste. Son approche infuse dans les corps une matière et un mouvement. Une double corporalité surgit. Elle conjugue l’élan du sexe et celui de l’art.  Les corps s’exaltent dans la prolongation de cette étreinte. Compénétration organique et mentale. Sa perception, sa sensation.

Si le sexe demeure dans la pénombre, André Mertz laisse  au reste du corps le soin de le montrer. Ce faisant il n’ignore pas les regards des hommes puisque lui-même en est un.  Chaque femme deviens luciole, lumière de la nuit.  Le voyeur rêve d’un geste secret, d’une nuit étoilée. A  bien y réfléchir ce qui le touche c’est l’obscur noyau de la féminité et le manuel de félixité qu’elle propose dans les transpositions de l’artiste.

Des robes fantomales font des nuits blanches.   Les seins de ces femmes sont mes îles et leur sexe une jungle. Chaque œuvre de Mertz crée des images semblables à la stupéfaction d’un songe. Dans le noir le blanc des yeux et la pulpe des corps semblent plus larges qu’à l’ordinaire. Des cils battent. Les ventres restent creusés. Espoir et désenchantement. La radicalité. Vie matérielle du vertige. Le plaisir est dedans.  Désir qui envahit tout. « Tout y baigne. C’est là que j’ai vécu » écrivait déjà Eleonora Carrington en parlant de la peinture.

Mais il ne faut pas  prendre les allers que propose Mertz pour des retours. Ses femmes font jouir de ce qu’elles n’attendent pas dans l’ incertitude tremblée de leur présence. Nous en sommes coupés. Mais rien n’empêche le rêve de vivre comme le reste d’une peuplade perdue dans le temps. Car bien plus encore qu’au sein de l’espace c’est dans le temps que les femmes de l’artiste nous achèvent. Elles unissent et séparent face la réceptivité organisée et l’hospitalité sociale.

Elles ne peuvent accepter la passion par nature obsessionnelle qui dérange leur pacte d’indifférence et de tentation. L’amour serait la fausse note qui viendrait les perturber. Mais pourtant elles sortent  du jeu d’inhibition psychique et de la stupeur sexuelle organisée.  C’est un luxe que la société ne peut s’offrir. Mais que Mertz nous accorde.

Atmosphères. Effluves. Fantasmes d’union ou d’attente. Entre le corps de la femme et celui du voyeur l’écart est creusé.  Mais le second ne finit jamais par renoncer.  Chacun croit à sa réalité. En cela l’art est essentiel.  Il fait de nous les dupes consentantes du non-dupe.  Et chaque voyeur prend pour mystérieux le risque que la femme ouvre.  Son amour pour elles reste éternel puisqu’il est contrarié.  Le voyeur n’est pas nu : il est dépouillés.  Par capillarité.

L’amour est solitude. L’art y répond.  C’est l’amour de la femme et une jouissance désespérée. A la folie de la solitude renvoie celle de l’art qui répond lui-même à celle de l’amour. C’est la folie qui dure. La folie pure. On y Sacrifie les détails à la vue de l’ensemble. Pas toujours. Mais reste une musique venant de partout, venant de nulle part. Venant du corps féminin.
Le voyeur tel un enfant cherche à comprendre. Il sait par les contes  que la promise est vierge au soir des noces, qu’elle monte telle dans le lit et que la nuit son époux prend sa fleur. L’enfant voudrait comprendre quelle est cette fleur. Et pourquoi cette fleur quand on la prend à la vierge pleure de sang. L’enfant écoute les contes. Il contemple les images. Il sait soudain que si les épines de la rose font saigner, la rose saigne aussi quand on la coupe et que de ce sang surgit le héros.

Buisson ardent, caresse de crépuscule. Mamelons. Les songes qu’offre Mertz ne sont que songes. On n’en demande pas plus. On aime se tromper avec ces images. Le sommeil y est interdit mais pas le rêve. Des formes nous échappent. On se dit qu’on  n’a pas le corps qu’on mérite, on s’étonne de ces femmes qu’on croit témoin de nos existences.  Flottantes, fragmentées les femmes agglutinent nos virtualités désirantes. L’artiste soulève leurs voiles. Elles deviennent les amorces d’une quête de beauté, d’u rêve de sensualité.

Jean-Paul Gavard-Perret